Hilde Vernaillen, Etienne Bouas-Laurent et Hein Lannoy sur les lacunes que le secteur de l’assurance entend combler pour une meilleure protection contre les risques

INTRODUCTION

Hilde Vernaillen, Etienne Bouas-Laurent et Hein Lannoy sur les lacunes
que le secteur de l’assurance entend combler pour une meilleure protection contre les risques

Hilde Vernaillen, Etienne Bouas-Laurent et Hein Lannoy, respectivement présidente, vice-président et CEO d’Assuralia jettent un œil dans le rétroviseur de 2022. Interview croisée sur l’impact du changement climatique, le traitement des risques systémiques, les politiques de durabilité et les projets sectoriels.

Hilde Vernaillen (HV) : 2022 a été l’année qui a révélé l’importance des partenariats public-privé aussi bien dans le dossier des inondations que dans celui des pensions ou encore dans le dossier fiscal. Nous nous sommes beaucoup investis dans ces questions en 2022. A ce jour, les résultats sont toutefois assez maigres. Si nous voulons occuper un rôle sociétal consistant à combler les lacunes (closing the gap), nous devons alimenter le politique par une préparation et une présence en amont.

Après sa prise de fonction, Hein a présenté le plan d’actions au monde politique en l’accompagnant d’une offre de formation. L’idée était d’expliquer les fondements de l’assurance au monde politique tout en soulignant l’importance des partenariats public-privé pour traiter des risques systémiques sans oublier de définir chaque notion au préalable. Cette proposition n’a pas pu se concrétiser.

Nous aurions aussi pu nous pencher sur la nécessité de dérisquer la société pour la faire évoluer tant d’un point de vue économique que social.

Le gouvernement met un point d’honneur à réaliser son programme sachant que ses membres seront jugés sur la base de leurs résultats lors des prochaines élections. De notre côté, nous devons convaincre de la pertinance des propositions que nous mettons sur la table. Nos propositions sont justes et équilibrées. Elles veillent à préserver l’intérêt général (les assureurs, les assurés, les pouvoirs publics) face à la survenance de risques plus fréquents et plus graves. Tout le monde a à gagner à disposer de modèles légaux solides capables de résister à de nouvelles catastrophes.

C’est pourquoi je suis convaincue que nous devons sensibiliser dès à présent l’ensemble des formations politiques en leur comminiquant nos priorités d’une telle façon qu’elles seront reprises tant par les partis de gauche que de droite. Nous en sommes capables et c’est maintenant que nous devons faire connaître nos positions afin qu’elles figurent en bonne place dans les propositions des partis et dans les prochains accords gouvernementaux.

Outre cette priorité, nous devrons aussi plancher en 2023 sur le risque climatique, les conséquences de la pandémie et de l’arrêt de certaines activités économiques et le risque cyber.

Etienne Bouas-Laurent

Etienne Bouas-Laurent

vice-président d'Assuralia

Nous entrons dans un monde marqué par une fréquence accrue de risques systémiques qui représentent de facto une difficulté pour le monde de l’assurance et qui pèsent également sur notre société. Nous nous trouvons dans une phase de transition entre un monde déterministe et un monde plus volatile dans lequel nous devons apprendre à faire face ensemble à ces risques accrus. Le monde de l’assurance devrait donc se profiler de manière proactive alors que nous vivons dans une société en mutation et en évolution.

Quels sont les thèmes sur lesquels nous avons enregistrés des progrès en 2022 et quels sont ceux au sujet desquels il y a encore des efforts à fournir ?

Etienne Bouas-Laurent (EBL) : En premier lieu, je tiens à souligner la nette amélioration dans la communication sectorielle, teintée de transparence, de pédagogie et de proactivité.
En second lieu, je note que les inondations de 2021 ont continué à peser sur l’année 2022 et poursuivront leurs effets en 2023. Nous entrons, en effet, dans un monde marqué par une fréquence accrue de risques systémiques qui représentent de facto une difficulté pour le monde de l’assurance et qui pèsent également sur notre société. Nous nous trouvons dans une phase de transition entre un monde déterministe et un monde plus volatile dans lequel nous devons apprendre à faire face ensemble à ces risques accrus. Le monde de l’assurance devrait donc se profiler de manière proactive alors que nous vivons dans une sociéte en mutation et en évolution. 

Nous avons présenté un plan d’actions ambitieux en 2022. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Hein Lannoy (HL) : Ambitieux est sans conteste le terme adéquat pour qualifier notre plan d’actions. À tel point que, pour Hilde, il s’agit plus d’un plan sur trois ans.

Nous l’avons d’ailleurs actualisé en septembre et en fin d’année. A la fin de l’année, force est de constater que les réalisations ont été nombreuses dans certains domaines tandis qu’il reste du travail dans d’autres. En matière de durabilité, quelques premières pierres ont été posées avec la création d’une task force et d’une fonction de sustainability manager dont la responsable a fourni un très bon travail. Je retiens aussi qu’au sein des entreprises, un progrès important a été réalisé dans l’élaboration d’une politique de durabilité. Dans la mesure où cela touche également aux conditions concurrentielles, une concertation et une coopération au niveau sectoriel ne coulent pas de source. Pourtant, je suis convaincu que nous pouvons mettre nos efforts en commun pour concrétiser des projets au niveau sectoriel.

D’une manière plus générale, notre secteur doit investir dans le sentiment de crédibilité qu’il inspire dans des thématiques telles que la loi sur les comptes-titres, la loi interprétative sur la sécheresse, le droit à l’oubli, etc. Nous avons adopté, dans ces dossiers, une position défensive et avons échoué à convaincre les politiques. Il nous faut plutôt nous doter d’une vision, d’une narration crédible en 2023 afin de sortir de cette approche défensive et ainsi pouvoir proposer notre propre vision qui nous permettra de conseiller le gouvernement.

Certains volets du plan d’actions m’inspirent une grande satisfaction grâce à la réalisation de beaux projets. Je rejoins Etienne lorsqu’il salue les progrès en matière de communication qui se veut plus dynamique et proactive. Nous cueillons aujourd’hui les fruits d’un travail de longue haleine et comptons poursuivre nos investissements dans cette matière avec le lancement prochain d’un tout nouveau site web, des lettres d’informations numériques, un nouvel intranet à destination de nos membres. Tous ces instruments seront déployés au service de ce nouveau narratif.

Hein Lannoy

Hein Lannoy

CEO d'Assuralia

Je retiens aussi qu’au sein des entreprises, un progrès important a été réalisé dans l’élaboration d’une politique de durabilité. Dans la mesure où cela touche également aux conditions concurrentielles, une concertation et une coopération au niveau sectoriel ne coulent pas de source. Pourtant, je suis convaincu que nous pouvons mettre nos efforts en commun pour concrétiser des projets au niveau sectoriel.

La durabilité occupe une place importante pour le secteur de l’assurance. Ce sujet nécessite aussi un partenariat avec les autorités, particulièrement sur le plan du changement climatique. Pouvons-nous, en tant qu’assureurs, continuer à en supporter les conséquences ?

HV : A mon sens, la durabilité va au-delà de ces perspectives. En tant que secteur, nous devons informer toutes les parties des enjeux qui dépassent le cadre légal étant donné la conscience que nous avons de la difficulté à le mettre en place. Et il faudra aller plus loin encore pour construire un monde plus durable et résilient. La politique d’investissement des assureurs combinée au partenariat public-privé - pas seulement pour couvrir les risques mais aussi pour prévenir les risques – seront essentiels.

Un solide plan de durabilité pour le pays est réellement indispensable et nous avons notre rôle à jouer dans son élaboration. Jusqu’à présent, je constate un manque de vision lorsqu’il s’agit de définir les enjeux de la durabilité pour notre pays.

HL : J’ai le sentiment que le débat se concentre trop sur les investissements durables/verts alors que la durabilité couvre bien plus que ces questions. En ce qui concerne les produits d’assurance non-vie, les efforts en matière de durabilité sont peu nombreux alors qu’il est possible de prendre des mesures importantes à ce niveau-là, sans compter la prévention qui est essentielle et qu’il est possible de développer.  

EBL : J’ajoute un point supplémentaire à cette thématique : celui d’employeur modèle. En tant qu’assureurs, nous avons la responsabilité d’engager nos collaborateurs dans la lutte contre le réchauffement climatique : nos équipes nous ont prouvé leur engagement en se mobilisant massivement lors des inondations de 2021. Je tiens une fois de plus à saluer nos collaborateurs et courtiers et leurs actions en faveur des personnes sinistrées. Ils poursuivent d’ailleurs leur engagement dans le river cleaning, beach cleaning, etc.  Mais nous avons aussi le devoir de devenir des employeurs inclusifs. Au delà du genre, nous visons la diversité ethnique, le handicap et tous les autres aspects de la diversité.  Il est primordial de s’assurer que les personnes qui travaillent dans le secteur de l’assurance puissent se sentir elles-mêmes. Notre secteur doit être actif dans ces questions et ne pas se contenter d’un effet d’annonce. Il faut faire en sorte que la culture des entreprises d’assurances soit vécue par tous les collaborateurs.

L’utilisation des données constitue un autre thème important. En tant qu’assureurs, si nous utilisons plus de données, pouvons-nous améliorer la prévention, mieux jouer notre rôle ?

EBL : L’assurance a toujours reposé sur l’utilisation de données pour définir les règles de souscription et fixer les tarifs d’assurance ; c’est le cœur de notre métier. Aujourd’hui, nous disposons de plus en plus de données et nous recourons à l’intelligence artificielle pour les étoffer lorsque cela s’avère nécessaire. Si l’utilisation de ces données est diverse et parfois soumise à des contraintes réglementaires, nous constatons une évolution de notre métier.  

A titre d’illustration : chaque entreprise d’assurances reçoit des millions de documents, de lettres et d’e-mails qui comportent des données non structurées. La technologie nous permet aujourd’hui de les traiter automatiquement et, pour la majorité d’entre elles, de les transformer en données structurées afin d’améliorer la rapidité et la fiabilité de leur traitement, et permettre à nos collaborateurs de travailler sur des tâches à plus forte valeur ajoutée.

Un autre cas concret, est le projet POI (proof of insurance) qui vise la dématérialisation de la preuve d’assurance automobile. La numérisation des données va permettre de supprimer les contrôles papier classiques (de la carte verte) et, par conséquent, de diminuer la consommation faramineuse de papier. Ce faisant, le travail de la police est facilité puisqu’elle ne devra plus effectuer de contrôle manuel et aléatoire. Il lui suffira désormais de scanner les plaques d’immatriculation des véhicules afin d’en connaître le statut d’assurance.

Quant à la question de la cybersécurité, nous sommes conscients que l’évaluation du risque d’une entreprise passera par l’utilisation d’algorithmes qui analyseront une multitude de données.

Enfin, les données supplémentaires seront également bénéfiques à la prévention et la gestion des sinistres en cas de catastrophes naturelles grâce à l’utilisation (quasi) en temps réel de données satellites, permettant d’identifier plus rapidement les assurés en situation difficile et de faciliter la procédure d’indemnisation.  

HV : Il est effectivement possible d’identifier dès les premiers instants les personnes en difficulté en cas d’inondation. Nous disposons de données sur la montée des eaux, les zones touchées et les personnes en difficulté. C’est d’ailleurs le travail qu’effectue le UNDR (United Nations Office for Disaster Risk Reduction) dans les pays en voie de développement. Je souhaite que cela soit également appliqué dans les pays développés. Le fait que nous soyons dotés d’institutions établies ne signifie pas que tout fonctionne mieux en cas de catastrophe naturelle, par exemple.

Dans le cas des inondations de 2021, les réassureurs nous ont communiqué les données précises relatives aux lieux les plus touchés, jusqu'à la hauteur des eaux habitation par habitation.  

Les données existent donc. Il reste à déterminer l’utilisation que nous sommes autorisés à en faire et la manière dont elles pourront être utiles pour prévenir l’ampleur du dommage.Pour y parvenir, le partenariat public-privé sera essentiel afin de mettre en place des plans de prévention et de durabilité.

Assuralia-Interview CEO en voorzitter Assuralia

Quel est l’impact du climat actuel de crise économique sur le secteur de l’assurance ?

HL : Plusieurs facteurs doivent être pris en compte par les assureurs comme les coûts élevés de l'énergie et l'inflation. En ce qui concerne l'inflation élevée, une bonne gestion actif/passif (ALM) doit en principe être réaliste du point de vue de l'assurance en gardant à l’esprit que les dispositions à long terme représentent évidemment un défi difficile avec des impacts à prévoir.

Hilde Vernaillen

Hilde Vernaillen

Présidente d'Assuralia

Afin de regagner la confiance de tout le monde, il faut aussi que le législateur nous donne un coup de pouce. Si trop d’interprétations sont possibles et que la réglementation est difficilement applicable, il en résulte une insécurité juridique. Nous militons en tant que fédération professionnelle pour une législation claire et stable. Une législation simplifiée peut nous aider à continuer à miser sur la transparence.

 

L'attitude du superviseur sera un élément important à cet égard. Et il y a, bien sûr, l'impact de l'inflation sur les assurés eux-mêmes. En raison de l'augmentation des coûts de l'énergie, la probabilité d’assister à une hausse du risque de crédit n’est pas négligeable. Si nous entrons dans une grave récession, de nombreux clients auront également du mal à payer leurs factures à la fin du mois. C’est alors un vrai problème de société.

EBL : Sur la question de l’assurabilité, il est possible d’établir un lien avec la durabilité. Une frange de la population s’appauvrit tant elle rencontre des difficultés croissantes à payer ses factures à la fin du mois. Quel rôle pourrait jouer l’assurance pour cette partie de la population ? Est-ce raisonnable que cette frange de la population ne s’assure plus ? Nous sommes face à un enjeu sociétal important auquel le secteur de l’assurance doit tenter d’apporter des réponses.

HV : Il faut surtout aider ces personnes à s’assurer pour le minimum nécessaire. Aujourd’hui, nous nous assurons pour de nombreux risques. Notre défi sera d’aider cette frange de la population à s’assurer pour l’essentiel à des tarifs plus bas ; ce qui n’est pas évident pour nos modèles de distribution. Faut-il, par exemple, assurer ses meubles de jardin alors que le paiement de la prime incendie représente un coût très important pour le budget du ménage ?

Est-il possible de procéder ainsi avec l’inflation galopante et des primes en hausse dans la plupart des polices d’assurances ?  

HV : Les primes sont actuellement sous-évaluées, en effet. Il n’existe pas de mauvais risque, seulement de mauvaises primes. Les primes doivent couvrir les risques que les assureurs garantissent. La question est de savoir pour quel risque les gens doivent réellement s’assurer. Et la réponse est : pas nécessairement pour tout ! Si les meubles de jardin ne sont pas assurés, ce n’est pas la fin du monde. En revanche, si votre enfant renverse à bord d’un engin motorisé un autre enfant dans la rue et que ce dernier finit handicapé à vie, l’assurance familiale s’avèrera salvatrice. Cette assurance coûte une centaine d’euros par an.  

Nous en revenons à l’éducation financière, le b.a-ba de notre secteur. Il nous faut informer la population sur les risques qu’elle est prête à assumer elle-même et ceux qu’elle souhaite couvrir par un contrat d’assurance.

En Belgique, nous avons une tradition de l’aversion du risque et nous nous assurons pour tout. Nous devons, en tant qu’entreprises d’assurances, remplir notre rôle sociétal et informer le public de manière à faire pencher la balance du bon côté entre, d’une part, les assurés en mesure de régler leurs primes d’assurances en pleine conscience des risques qui sont couverts ou qui ne le sont pas et, d’autre part, les assurés qui ne seront plus en mesure de payer leurs multiples couvertures.


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